Blagues : Fiscalité 

 

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Franz Kafka et la fiscalité française :

 

 

Franz Kafka et la fiscalité française

Paul DEHONT, Expert-Comptable, nous livre dans la Revue Française de Comptabilité une histoire fiscale qui, tout en relevant de l'humour noir, illustre bien quelques principes fondamentaux qui régissent la fiscalité française. L'essentiel des principes manipulés sont retenus par la doctrine fiscale tunisienne.

Nous avons pris soin d'apporter les adaptations nécessaires à l'article de Mr Paul DEHONT pour qu'il soit compréhensible dans le contexte tunisien.

Abderraouf YAïCH

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Une histoire de plus-value

Le législateur qui a décidé de taxer les plus-values - dans certains cas quand elles sont réalisées par des particuliers, presque toujours quand elles le sont par des professionnels - ne s'est jamais donné la peine de définir ce qu'était une plus-value.

En fait, c'est la différence :

- entre la valeur d'un élément du patrimoine à un moment donné,

- et sa valeur d'achat, éventuellement réévaluée pour tenir compte de la dépréciation de la monnaie, s'il s'agit d'un particulier,

- ou sa valeur comptable (valeur d'achat moins amortissements pratiqués) s'il s'agit d'une entreprise.

C'est Pierre Laval, alors Président du Conseil des ministres et ministre des Finances, qui eut, en 1935, l'idée de taxer les plus-values professionnelles.

Il fallut attendre 40 ans pour que les plus-values privées le soient aussi ; encore faut-il qu'elles concernent un immeuble.

Toutefois, tant dans l'esprit de ses promoteurs que dans les faits et de par la loi, les plus-values ne devaient être taxées que si elles étaient réalisées.

Tant qu'un immeuble reste la propriété d'un citoyen, sa valeur eût-elle décuplé, et quelqu'en soit le motif - inflation, amélioration de l'environnement, écologique, sociologique, économique - la plus-value reste latente et donc non imposable.

A contrario, le bien sort-il du patrimoine de celui qui, jusque là, en était le propriétaire, la plus-value doit être calculée et taxée quel que soit le mode de sortie : vente, apport en société, donation, etc...

On peut discuter à perte de vue sur le bien-fondé de cette imposition. Le fait est qu'elle est prévue par la loi et que la loi reste la loi même injuste et cruelle, comme le disait Alfred de Vigny.

Il n'en reste pas moins que le principe est certain : tant que le bien est dans le patrimoine, pas d'imposition. C'est ce que je pensais, c'est ce que vous pensiez, c'est ce que nous croyions, ce qui me paraissait, ce qui vous paraissait, de bon sens. Eh non, nous nous trompions tous !

Le Conseil d'Etat a, par un arrêt du 24 mai 1967, décidé solennellement qu'il pouvait en être autrement. Il a commencé par décréter que certains contribuables avaient deux patrimoines :

- un patrimoine professionnel,

- un patrimoine privé.

Vous remarquerez que c'est une subtilité juridique que le juge des défaillances des entreprises ignore superbement. Si, ne pouvant faire face à vos dettes, vous "déposez votre bilan", suivant la formule consacrée, le liquidateur qui aura été nommé ira sans la moindre hésitation jusqu'à la vente totale de vos biens, qu'ils figurent dans votre patrimoine privé ou dans votre patrimoine commercial.

Mais le juge de l'impôt en a décidé autrement.

Le fait de faire passer un immeuble de votre patrimoine commercial dans votre patrimoine privé vous rend passible de l'impôt sur les bénéfices au titre de la plus-value déterminée par la différence entre la valeur vénale du bien au jour du transfert et sa valeur comptable dans les livres de votre entreprise.

Pourtant, l'immeuble n'a pas bougé. Il est toujours à l'endroit où vous l'avez bâti ou là où il était quand vous l'avez acquis. Vous ne l'avez ni vendu ni apporté à une société. Il n'a fait l'objet d'aucune donation.

Qu'à cela ne tienne, dit le Conseil d'État, la plus-value, estimée et quoique potentielle, est taxable.

Vous remarquerez, au passage, que l'opération inverse ne vous rend pas passible de l'impôt sur la plus-value immobilière. Si vous décidez un jour d'inscrire à l'actif de votre entreprise un immeuble dont vous êtes propriétaire, vous pouvez le faire en toute impunité fiscale.

Ça, c'est la participation du père Ubu à notre folklore fiscal.

Mais il y a mieux.

L'administration fiscale a toujours eu beaucoup de tendresse pour les petits commerçants, les petits artisans, les petits professionnels libéraux. Elle a donc décidé que si l'entrepreneur réalisait un chiffre d'affaires :

- inférieur à un million de francs, s'il est exploitant agricole, entrepreneur industriel ou commercial ou fournisseur de logement,

- à trois cent mille francs, s'il est à la tête d'une entreprise de prestations de services,

- à trois cent cinquante mille francs, s'il exerce une activité non commerciale,

la plus-value professionnelle ne serait pas taxée.

Toutefois, s'agissant d'une entreprise commerciale, il pourra arriver :

- qu'il ne soit pas taxé s'il vend des cacahuètes alors qu'il le sera s'il vend du papier peint ;

- qu'il n'aurait pas été taxé s'il avait cessé son activité au 31 décembre alors qu'il l'est pour avoir fermé sa boutique au 31 mars.

Ça, c'est la contribution de Franz Kafka à ce qui est un cauchemar que vivent de nombreux petits commerçants victimes du malheur des temps et de la jurisprudence du Conseil d'État.  

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Où l'on verra que fermer boutique n'est pas une sinécure

Peut-être ne le croirez-vous pas ? Eh bien, osez, osez bonnes gens, la triste histoire qui plonge dans l'angoisse la famille d'un honnête commerçant qui, voulant prendre une retraite parfaitement méritée, a dû fermer sa boutique purement et simplement faute d'avoir trouvé un acquéreur, en raison de la présence d'un hypermarché à proximité de son magasin.

Ce n'est pas qu'il n'ait pas cherché, tiré les sonnettes des agents d'affaires, hanté les études des notaires de la région, inséré des annonces alléchantes dans les journaux régionaux, locaux et professionnels, sans compter les feuilles syndicalistes et je crois même dans le bulletin paroissial. Rien n'y fit. Quelques amateurs se présentèrent bien, trouvèrent le local impeccable, bien placé, facile d'accès, sur une place de la ville offrant un parking généreux pour la clientèle mais, après avoir relevé quelques prix et les avoir comparés avec ceux de l'hypermarché à trois tours de roue du fonds à vendre, ils ont fait savoir poliment qu'ils ne pouvaient donner suite à leur intention d'acquérir.

Notre commerçant liquida donc son stock et, au 31 mars d'une certaine année - qu'il a depuis marqué d'une pierre noire - il ferma boutique.

Dans les dix jours qui suivirent, il fit sa déclaration des données sociales à la Caisse régionale d'assurance maladie. Au 30 avril, il régularisa son compte de TVA - il relevait du Régime Simplifié d'imposition - et pour le 31 mai, il souscrivit sa déclaration de résultat.

Vous remarquerez, au passage, que le fait de devoir souscrire ces trois déclarations à des dates différentes alors que l'on ne peut être certain de l'exactitude des deux premières qu'après qu'on ait souscrit la troisième relève d'une sorte de sadisme que Kafka n'eût pas renié. Donc, notre contribuable établit le bilan de clôture de son activité et le fit vérifier par un expert fiscal avant de l'adresser à l'administration.

Cet expert - qui n'avait pas regardé de trop près les textes fiscaux - constatant, au vu du compte de résultat, que le chiffre d'affaires hors taxes s'était élevé à 830 200 francs, crut pouvoir dire à son client :

  • que le fait de faire entrer dans son patrimoine privé un immeuble qui avait figuré jusque là au bilan de son entreprise, devait normalement entraîner le paiement de l'impôt sur les bénéfices sur la plus-value prétendument réalisée à cette occasion ;

  • constatant en examinant le compte de résultat que l'entreprise avait réalisé un chiffre d'affaires de 830 200 francs au cours du dernier exercice soit un chiffre inférieur à un million de francs - il serait exonéré de cette plus-value ;

  • qu'il y avait lieu de profiter de cette bienveillance de l'administration en "sortant" l'immeuble pour une valeur importante qu'il pourrait opposer à cette même administration dans l'hypothèse où, plus tard, il le revendrait, ce qui permettrait ainsi de réduire la plus-value due à cette occasion par les particuliers.

Ce qui fût dit fût fait, la déclaration rédigée en ce sens fût adressée - sous pli recommandé à la Poste, avec avis de réception - à la limite du délai légal.

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Où l'on constatera que les raisonnements de l'administration des impôts sont d'une implacable logique.

A quelque temps de là, notre contribuable reçut une notification n° 2120 de son inspecteur des impôts lui signalant qu'il n'avait pas fait figurer dans sa déclaration la plus-value réalisée - soit disant réalisée faudrait-il dire - à l'occasion du retrait dans son patrimoine privé d'un immeuble qui avait jusque là figuré au bilan de son entreprise.

Le contribuable bondit sur son téléphone pour connaître les jours de réception de l'inspecteur et le mercredi suivant à 14 heures pile, il entrait dans le bureau du fonctionnaire des impôts avec l'intention bien arrêtée de demander des explications. Il en eut et plus qu'il n'en voulait.

On lui fit savoir en effet que le chiffre de référence à retenir pour savoir si l'entreprise était ou non cataloguée petite entreprise, était bien un million de francs mais qu'il s'agissait d'un million de francs TTC alors que son compte de résultat était renseigné hors taxes.

Il fallait donc, au chiffre d'affaires réalisé, ajouter la TVA - à 20,6% puisque que notre commerçant était droguiste - ce qui représentait - partant de 830 200 francs - 1 001 221 francs.

Notre contribuable s'énerva.

«C'est insensé, M. l'inspecteur, si au lieu de vendre des articles de droguerie, j'avais vendu des petits pois, taxés à 5,5%, je n'aurais réalisé que 875 860 francs et j'aurais échappé à la plus-value».

L'inspecteur reconnut que c'était vrai mais ajouta que le fait de vendre des articles de droguerie était un choix délibéré, qu'à aucun moment l'administration ne l'avait empêché de vendre des petits pois et que dans ces conditions, il avait bien réalisé un chiffre d'affaires supérieur à un million.

De plus, ajouta-t-il, «votre façon de calculer est inexacte car, votre exercice s'étant clos en cours d'année, et le chiffre de référence se rapportant à l'année civile, il fallait, à la fois :

- prendre le chiffre d'affaires TTC de l'année précédant la cessation de l'activité,

- prendre le chiffre d'affaires des 3 mois précédant ce même arrêt - le 31 mars - et le ramener à l'année civile par une simple règle de trois, c'est-à-dire en le divisant par trois et en multipliant le résultat par douze».

Notre contribuable avait avec lui ses recettes des mois de janvier, février et mars. Il en fit l'addition, divisa le résultat - 260 000 francs - par 3 et multiplia par 12. Le calcul donna 1 039 999 francs. Il était effondré.

Un éclair lui traversa l'esprit : «mais, M. l'inspecteur, ceci est inexact. Si l'année précédente et l'année encore précédente je n'ai pas réalisé un million de chiffre d'affaires c'est que mon magasin n'a été ouvert que 11 mois. Chaque année, je prends mes vacances au mois d'août. Il faudrait donc diviser le chiffre des trois premiers mois par 3 et multiplier le résultat par 11».

«Impossible répondit l'inspecteur. La loi est formelle. Les articles 159 septies et 202 bis du code général des impôts prévoient expressément que le chiffre d'affaires doit être ramené à 12 mois. Je n'y peux rien».

Mais notre contribuable continua :

«C'est encore injuste à un autre titre, M. l'inspecteur ; comme je n 'ai pas trouvé de repreneur pour mon affaire, j'ai dû liquider mon stock. Je ne pouvais reprendre pour mon usage personnel et celui de ma famille les douzaines de balais, les caisses de savon, les mètres cubes de papier toilette, que j'avais encore en stock. J'ai tout vendu au prix d'achat ou presque. C'est cette vente massive qui augmente le chiffre d'affaires du mois de mars. C'est cela qui me pénalise. Si j'avais purement et simplement continué mon activité en liquidant mon stock un peu à la fois, cela aurait duré 4 ou 5 mois de plus et, avec le même chiffre d'affaires sur 7 ou 8 mois, je n'aurais pas atteint le million en appliquant votre règle de trois».

L'inspecteur répondit : «Monsieur, personne ne vous a obligé à fermer votre magasin le 31 mars. Vous l'avez fait de votre plein gré. Vous ne pouvez donc pas le reprocher à l'administration».

La discussion ne s'arrêta pas là.

«Vous savez, dit le contribuable, la valeur qui est indiquée pour l'immeuble dans mon bilan de cessation d'activité est surfaite. C'est un conseil que l'on m'avait donné pour réduire éventuellement la plus-value que je réaliserai - peut-être - le jour où je vendrai cet immeuble. Je suis certain qu'en réalité il ne vaut pas plus de 700 000 francs».

«Peut-être, dit l'inspecteur, mais vous avez écrit 1 500 000 francs. C'est une décision de gestion contre laquelle je ne peux rien».

Notre contribuable quitta le service administratif complètement désarçonné, désemparé, désespéré.

Il reçut quelques semaines plus tard l'imposition pour ses derniers mois d'activité. L'avertissement portait une ligne consacrée à l'imposition de la plus-value : près de 300 000 francs à payer car la valeur comptable de l'immeuble était quasiment nulle.

Son notaire lui conseilla de faire une réclamation en précisant qu'il avait été égaré par un conseil malencontreux et lui établit, comme pièce justificative, une attestation aux termes de laquelle lui, notaire, estimait que l'immeuble valait entre 8 et 900 000 francs.

L'inspecteur avait préparé une proposition de rejet de la réclamation mais son chef, inspecteur principal, eut le bon sens d'estimer qu'on ne devait pas en rester là.

Il fit procéder à une évaluation par les services des Domaines qui estimèrent que dans son état d'entretien et à son emplacement, l'immeuble valait en fait 850 000 francs.  

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Où on lira que l'on peut trouver un percepteur au fond bon enfant

L'imposition se réduisit d'autant. Il restait à la payer. Le soi-disant retrait de l'immeuble du patrimoine commercial pour le faire entrer dans le patrimoine privé n'avait pas apporté un centime à ce pauvre contribuable. Il n'avait pas tiré le moindre fifrelin de la valeur de son fonds de commerce qu'il n'avait pu céder et il se retrouvait avec un local commercial vacant ne lui apportant aucun revenu.

Il se rendit donc chez son percepteur qui le reçut à bras ouverts. Il avait toujours en effet été un excellent contribuable payant rubis sur l'ongle toutes les impositions émises à son nom : la taxe d'habitation, la taxe sur la valeur ajoutée, l'impôt sur le revenu et j'en passe.

M. le percepteur entama donc la conversation en posant la question : «Que me vaut le plaisir de votre visite». Il avait su - tout se sait dans une petite ville - que son client avait cessé son activité et supposait qu'il venait le voir pour le placement des capitaux qu'il avait sûrement retirés de la liquidation de son affaire.

«En fait, dit notre contribuable, je viens vous demander un délai de paiement. Ma cessation d'activité a entraîné une imposition relativement importante et je suis dans l'impossibilité de la régler en une seule fois».

«Mais, dit M. le percepteur, il n'y a là aucun problème. Faites-moi une proposition écrite, je l'examinerai et nous nous reverrons».

Chose dite fût faite. Notre contribuable exposa :

- qu'outre l'impôt sur le revenu dû au titre de ses trois derniers mois d'activité, il devait payer un impôt sur une plus-value - 150 000 francs environ -,

- qu'il n'avait pas encore perçu sa retraite,

- et qu'il était propriétaire de deux immeubles qui, pendant quelque temps, ne lui rapporteraient rien. Pour l'un d'entre eux, en effet, il avait fallu refaire la toiture à la suite d'une réclamation du locataire qui avait trouvé son grenier inondé après une violente averse et il devait repeindre entièrement la façade de l'autre immeuble pour répondre aux obligations imposées par l'autorité municipale pour la beauté de la ville.

Ces deux dépenses étaient extrêmement importantes. Il avait donc emprunté sur 5 ans à un taux raisonnable mais le remboursement du capital et les intérêts mangeaient pratiquement la totalité des loyers pendant cette période.

Compte tenu de ses disponibilités, de sa future pension, du minimum de dépenses nécessitées par son train de vie, il ne pourrait disposer que de 2 500 francs par mois pour régler son passif fiscal.

M. le percepteur faillit faire une apoplexie en recevant cette lettre. On lui demandait 5 ans de délai !

Il prenait sa retraite l'année suivante et laissa à son successeur un "reste à recouvrer" de 120 000 francs environ - garantis, certes, par une hypothèque possible sur l'immeuble occupé par le contribuable - ne lui plaisait pas du tout.

Avant de prendre une décision, il crût bien faire d'interroger sa hiérarchie, c'est-à-dire la Trésorerie générale.

La réponse arriva par un coup de fil du service. «Mais, lui dit-on, tu es aveugle. Voilà un citoyen qui a réalisé une plus-value de 850 000 francs et qui te demande un délai de 5 ans pour payer l'impôt - 150 000 francs - résultant de cette plus-value. Il te mène par le bout du nez. Il a sûrement placé son argent qui lui rapporte des intérêts substantiels et il te fait lanterner pour payer ses impôts».

M. le percepteur fut décontenancé par la remarque de son supérieur.

D'une part, elle lui paraissait finalement d'un bon sens inattaquable, mais, d'autre part, il avait cru comprendre des explications embrouillées du contribuable que ce dernier n'avait pas encaissé - ou pour le moins pas encore encaissé - la plus-value qui était taxée entre ses mains. De toutes façons, il était, pour lui, inconcevable qu'une plus-value non réalisée fasse l'objet d'une imposition.

Comme il ne voulait pas passer pour un ignorant, il se garda bien de convoquer le contribuable pour obtenir des explications supplémentaires et lui adressa une lettre d'une parfaite courtoisie par laquelle il lui expliquait qu'avec la meilleure bonne volonté, il ne lui était pas possible de lui accorder plus de 24 mois de délai et pour l'inviter à faire, à sa caisse, des versements mensuels de 6 250 francs.

Il ajoutait que si des versements de cette importance étaient hors de proportion avec ses facultés contributives, il l'engageait vivement :

- soit à rechercher auprès d'un banquier un prêt à moyen terme, ce qui lui permettrait de retrouver le délai de 5 ans qu'il avait sollicité dans sa première demande,

- soit à se décider à vendre l'immeuble dans lequel il avait exercé son exploitation commerciale et qui se trouvait inoccupé.

La mort dans l'âme, notre contribuable opta pour cette seconde solution.

Il revit son notaire, et fit paraître plusieurs annonces dans la presse régionale et les revues spécialisées. Contre toute attente, de nombreux candidats se présentèrent qui visitèrent l'immeuble de fond en comble mais il dut rapidement déchanter car, en dépit des estimations du service des domaines et de celle de son propre notaire, aucun des candidats acquéreurs n'offrit plus de 500 000 francs pour ce bâtiment pourtant bien placé et en bon état d'entretien. C'est que, les acquéreurs potentiels estimant qu'il avait perdu toute vocation commerciale, ils entendaient le transformer en logements, transformation qui entraînerait nécessairement des frais importants.

C'est alors que notre contribuable, complètement désemparé, me passa un coup de fil pour me faire part de son désespoir. Après m'avoir exposé tous ses malheurs, il conclut qu'il allait se résigner à vendre l'immeuble au prix offert par le mieux-disant, soit finalement 510 000 francs.

Il ajouta : «En le vendant à ce prix, l'opération va dégager une moins-value de 340 000 francs qui me permettra de récupérer partiellement l'impôt que j'aurai payé sur la plus-value. De cette façon, je limiterai les dégâts. Qu'en pensez-vous ?»

Sur le coup, je ne répondis rien parce que si je savais ce qu'il fallait répondre, je ne savais pas comment l'expliquer.

Au bout de quelques instants, le contribuable insista : «Vous m'avez entendu ? N'êtes-vous pas de mon avis?»

- «C'est que ... »

- «Que voulez-vous dire ? Expliquez-vous».

- «C'est que, cher monsieur, si les plus-values immobilières peuvent être taxées, qu'elles soient réalisées par un professionnel ou par un particulier, les moins-values ne sont pas déductibles si c'est un particulier qui les constate!»

Le contribuable bredouilla un «au revoir» et raccrocha.

J'ai su, par sa famille, qu'il avait sombré dans la dépression nerveuse.

L'histoire n'était malheureusement pas tout à fait terminée.

Il restait encore, en effet, une marche à gravir au calvaire du contribuable.

La jurisprudence du Conseil d'État et la doctrine administrative lui réservaient une dernière surprise qui relève de "l'acharnement fiscal".  

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Où l'on apprendra que la disparition d'un fonds de commerce n'est peut-être pas une perte

Nous avons vu qu'en dépit de l'unicité du patrimoine d'un commerçant, le fait de transférer, dans son patrimoine privé, un immeuble ayant figuré à l'actif de son entreprise le condamnait à payer l'impôt sur une plus-value au moins hypothétique.

Son expert-comptable avait estimé, par contre, que le fait de n'avoir pu vendre son fonds de commerce, faute d'acquéreur, constituait une perte. Il avait donc comptabilisé cette opération comme telle. Celle-ci avait absorbé non seulement le bénéfice réalisé au cours de ses trois derniers mois d'exploitation, mais s'était même imputée partiellement sur la plus-value dégagée sur l'immeuble.

Et tout cela paraissait de bon sens. Mais tel n'est pas l'avis des juges de la Haute Assemblée et l'administration s'est empressée de l'intégrer à sa doctrine.

«Vous avez perdu votre fonds de commerce ? Ce n'est pas une perte, vous ne pouvez constater qu'une moins-value».

Simple question de langage direz-vous. Eh non, et voilà bien la preuve de la duplicité du fisc. Pour ce monstre froid, si une perte est imputable sur tous les profits quels qu'ils soient - profits d'exploitation, profits financiers, plus-value à long et à court terme - la moins-value ne peut être déductible que pour une certaine fraction du bénéfice de l'exercice de cessation de l'activité.

Comment la calcule-t-on ?

Ne vous laissez pas distraire, suivez le calcul.

Cette fraction est déterminée «d'après le rapport existant entre le taux d'imposition des plus-values à long terme applicable au cours de l'exercice de la réalisation de la moins-value et le taux de l'impôt sur les sociétés en vigueur lors de l'exercice de cessation de l'entreprise».

Mais, direz-vous encore, ce contribuable exerçait à titre individuel. Qu'à cela ne tienne. Le rapport est valable même pour les entreprises relevant de l'impôt sur le revenu. C'est lumineux comme vous le voyez.

A l'époque où notre ami a réalisé l'opération qui lui vaut tous les déboires ici décrits, le taux de l'impôt sur les sociétés était de 33,33% et le taux de l'impôt sur les plus-values à long terme était à 18%.

Autrement dit, après avoir perdu la totalité de son fonds de commerce en raison de la concurrence et de la puissance financière d'une grande surface installée près de chez lui, il ne pourra déduire de ses revenus qu'un peu plus de 15% de la perte constatée.

Par contre, la plus-value, tout à fait aléatoire, qu'il est censé avoir réalisée est taxable - à un taux réduit, grâce à Dieu - mais à partir du premier franc.

Ne vous ai-je pas dit que c'était du Kafka ?

D'après l'article de Paul DEHONT Expert-Comptable France - Revue Française de Comptabilité n° 302 - Juillet - Août 1998.

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